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Commentaire de l'ordonnance de référé du Conseil d'Etat du 27 août 2019

Suivant ordonnance du 27 août 2019, le Conseil d’Etat, statuant en référé, a « suspendu l’exécution des articles 4 et 13 de l’arrêté interministériel du 16 juillet 2019 relatif au repérage de l’amiante avant certaines opérations réalisées dans les immeubles bâtis ».

La décision ne saurait en réalité surprendre (1). Importantes, ses conséquences pratiques devraient néanmoins demeurer limitées dans le temps (2).

 


 

1. Intervenu au cours de l’été, ledit arrêté interministériel du 16 juillet 2019 - entré en vigueur dès le 19 juillet 2019, lendemain de sa publication au Journal Officiel -, venait en particulier :

  • Répondre à la réglementation issue de la loi du 8 aout 2016, et notamment aux articles L.4412-2 et R.4412-97 du Code du travail, en déterminant (enfin) les conditions dans lesquelles est conduite, pour les immeubles bâtis, la mission de repérage avant-travaux des matériaux susceptibles de contenir de l’amiante ;
  • Étendre, à la réalisation desdits diagnostics amiante avant-travaux, l’exigence de la détention par l’opérateur de repérage d’une certification « avec mention », telle que définie par l’arrêté du 25 juillet 2016.

C’est précisément cette dernière exigence qui a été immédiatement attaquée par l’un des acteurs importants de la profession.

Après avoir fait observer qu’un tiers seulement de ses opérateurs salariés (64/200 environ) et moins de la moitié des 8250 opérateurs certifiés en France sont à ce jour titulaires d’une certification « avec mention », la société AC ENVIRONNEMENT a en effet sollicité en référé la suspension des dispositions conditionnant la réalisation des repérages amiante avant-travaux à la détention de ladite certification avec mention, aux motifs ici retenus :

  • De l’absence de disposition transitoire (a);
  • De l’illégalité dudit arrêté à raison de la récente annulation de l’arrêté du 25 juillet 2016 qui définissait précisément les critères de certification des opérateurs… (b).

 

1.a Si l’arrêté du 16 juillet 2019 était objectivement attendu de longue date, force est en effet d’abord de rappeler et constater que :

  • Par deux importants arrêts d’assemblée des 24 mars 2006 (Sté KPMG, Req. N°288460) et 16 juillet 2007 (Sté Tropic Travaux Signalisation, Req. N°291545), le Conseil d’Etat a consacré en droit interne la soumission du pouvoir réglementaire à un principe de « sécurité juridique » exigeant la mise en œuvre de « mesures transitoires » dès lors que l’application immédiate de nouveaux règlements est « susceptible de porter une atteinte excessive aux situations contractuelles en cours qui ont été légalement nouées »;
  • En l’espèce, c’est en stricte application de la jurisprudence susvisée que le Juge des référés a retenu l’existence d’un « doute sérieux sur la légalité » des dispositions susvisées dès lors que « l’exigence immédiate de cette mention pour le repérage éventuel d’amiante avant de nombreux travaux, alors que l’état antérieur du droit ne la requérait pas, a pour effet de perturber ou de retarder l’exécution des contrats déjà passés ».

Une telle période transitoire avait d’ailleurs, à l’inverse, précisément été édictée par l’article 15 de l’arrêté du 19 juin 2019, relatif lui au « repérage de l'amiante avant certaines opérations réalisées dans les navires, bateaux, engins flottants et autres constructions flottantes », dont les dispositions n’entreront en vigueur qu’au 1er janvier 2020.

On regrettera qu’un certain parallélisme des formes n’ait pas ici prévalu.

 

1.b On ne saurait davantage s’étonner ensuite de la reconnaissance d’un même « doute sérieux sur la légalité » des dispositions conditionnant la réalisation des repérages amiante avant-travaux à la détention d’une certification « avec mention », dès lors que ledit dispositif de certification avait « disparu » cinq jours seulement après l’entrée en vigueur de l’arrêté ici litigieux du 16 juillet 2019…

On rappellera en effet que, à raison une nouvelle fois de l’exigence de libre accessibilité – et partant de gratuité – des normes dont l’application est rendue obligatoire par le pouvoir réglementaire (v. notre article sur la décision du Conseil d’Etat du 7 juin 2017 annulant l’arrêté du 10 août 2015 qui modifiait le modèle de rapport de diagnostic de l’état de l’installation intérieure d’électricité), le Conseil d’Etat avait en effet annulé, le 24 juillet 2019, l’arrêté susvisé du 25 juillet 2016 définissant les critères de certification des opérateurs.

Il est de fait pour le moins problématique que puisse être exigé la détention par l’opérateur d’un certificat avec mention pour la réalisation de certains repérages complexes, mais que le dispositif de certification n’existe plus, interdisant corrélativement aux opérateurs d’y satisfaire…

C’est dans ces conditions qu’est à notre sens logiquement intervenue, le 27 août 2019, la suspension des seuls articles 4 et 13 de l’arrêté interministériel du 16 juillet 2019 relatif au repérage de l’amiante avant certaines opérations réalisées dans les immeubles bâtis.

 

2. Les conséquences de la suspension des seuls articles 4 et 13 de l’arrêté du 16 juillet 2019 devraient néanmoins demeurer limitées.

Au regard d’abord de la portée de cette décision, qui ne frappe que l’exigence d’une certification avec mention pour la réalisation d’un repérage amiante avant travaux dans les immeubles bâtis (article 4), en ce compris « l’évaluation » des repérages avant travaux réalisés conformément à la norme NF X 46-020, dans ses rédactions de décembre 2008 et novembre 2002 (article 13).

Les autres dispositions de l’arrêté, qui fixent notamment les conditions de bonne exécution de ladite mission de repérage avant travaux, pour le donneur d’ordre aussi bien que pour l’opérateur de repérage, demeurent en revanche et à ce jour parfaitement applicables.

Au regard ensuite des probables conséquences dans le temps de cette décision, alors notamment que :

  • L’arrêté du 2 juillet 2018 (tel que modifié en mars 2019), censé initialement abroger et remplacer les dispositions de l’arrêté du 25 juillet 2016, entrera en vigueur au 1er janvier 2020 pour la certification des opérateurs de diagnostic immobilier, occupant enfin le « vide » laissé par l’annulation, le 24 juillet 2019, de l’arrêté susvisé du 25 juillet 2016 ;
  • Dès lors qu’un dispositif de certification sera à nouveau en place, rien ne paraît aujourd’hui s’opposer à ce que le pouvoir réglementaire parvienne, dans les semaines à venir, à rétablir ensuite également l’exigence, début 2020, d’une certification avec mention pour la réalisation des repérages amiante avant travaux dans les immeubles bâtis, alors même qu’entrera alors en vigueur l’arrêté du 19 juin 2019 relatif lui au « repérage de l'amiante avant certaines opérations réalisées dans les navires, bateaux, engins flottants et autres constructions flottantes ».

On peut donc encore espérer voir, dans les prochains mois, l’épilogue d’un été meurtrier pour la réglementation applicable aux repérages « amiante » les plus complexes…

 

 

Rédacteurs

Guillaume Desmure & François-Xavier de Angelis

François-Xavier de ANGELIS

Guillaume DESMURE